Numérique

Le numérique est-il la solution ?

Les e-books peuvent paraître, à première vue, une alternative intéressante aux livres imprimés du point de vue strictement écologique. En effet, étant dématérialisés, ils n’impliquent aucune consommation de papier, aucun processus de fabrication industriel, aucun transport et ne génèrent ni stocks, ni retours.

Ce préjugé favorable se dissipe vite quand on fait le compte des émissions de GES liées  à la fabrication des lecteurs et des tablettes numériques, à leur rechargement quasi-quotidien par leurs utilisateurs, et au fonctionnement des serveurs hébergeant les contenus comme aux sociétés de télécommunication  mettant les uns en rapport avec les autres.

La fabrication des tablettes et des lecteurs  est très coûteuse en GES . Apple, le seul des grands constructeurs à  avoir publié le bilan carbone de ses produits, estime à 130 kg eq. CO2 l’empreinte de son iPad, et à 105 kg eq. CO2 celle de son iPad2 (http://www.apple.com/fr/environment/reports/). 30% de ce total est censé provenir de l’utilisation de l’appareil, mais l’étude ne dit pas sur quelle durée. Or l’espérance de vie d’un appareil électronique  grand public est estimée à 18 mois en moyenne…. Compte tenu des spécificités du marché américain (qualité du papier, couverture reliée et cousue avec jaquette, distances plus importantes, énergie électrique plus carbonée), mais également d’une approche forêt très pénalisante, l’association américaine Green Press Initiative retient une empreinte carbone moyenne de 4kg eq. CO2 par livre imprimé (source : US Book Industry Report).  Autrement dit, si l’on accepte les chiffres de Apple (la méthode de calcul n’est pas publique à ce jour), l’utilisation d’un iPad deviendrait écologiquement vertueuse aux Etats-Unis dès lors qu’il servirait à  lire « pour 105kg d’eq. CO2  en livres » sur un an et demi, soit l’équivalent de 33  livres imprimés en 18 mois sur un iPad et de 27 livres sur un iPad2.

Certes, l’iPad est un appareil multifonctions, et les émissions liées à son utilisation devraient en réalité être réattribuées à chacune de ses fonctionnalités (jeux, lecture de presse, lecture de livres, visionnage de films, etc.) au prorata de leurs temps d’utilisation moyen. La part des émissions dédiées spécifiquement à la lecture de livres s’en trouverait nettement amoindrie. (Il n’existe cependant à ce jour aucune étude sur l’usage des tablettes, qui nous permettrait d’estimer l’empreinte carbone d’un livre numérique sur iPad, en prenant en compte ces paramètres.)

En ce qui concerne les lecteurs de eBooks, appareils entièrement dédiés à la lecture, la société de conseil française Carbone 4 a pour sa part évalué en 2008 l’empreinte carbone du premier lecteur disponible sur le marché à 235 kg eq. CO2, et l’empreinte carbone moyenne d’un livre français à 1,4 kg eq.CO2, ce qui plaçait la barre à 168 livres sur la durée de vie du lecteur.

On voit bien que l’eBook n’est pertinent d’un point de vue écologique que pour les très gros lecteurs, qui ne représentent qu’une petite part de la population.

Encore ce calcul ne tient-il pas compte des autres critères écologiques, en particulier la consommation de ressources  naturelles non renouvelables telles que le silicium, le coltan et d’autres terres rares, le pétrole servant à fabriquer les polymères et le plastique, le verre, le métal, etc.

Par ailleurs l’énergie nécessaire à faire tourner et à refroidir les millions de serveurs informatiques nécessaires au stockage des contenus est d’autant plus carbonée que ces data centers se trouvent dans des pays ayant recours à des centrales au charbon, au fuel, ou au gaz (Asie, Etats-Unis et Canada).

Enfin l’électricité consommée par chacun d’entre nous pour recharger nos terminaux mobiles atteint vite des chiffres impressionnants : songez que 62, 5 millions de tablettes se sont vendues dans le monde au cours de la seule année 2011, et que Forrester Research estime qu’il s’en vendra 375 millions en 2016 ! A 5 watts la recharge (c’est la puissance consommée par un smartphone), l’énergie nécessaire au maintien en service de ces tablettes se chiffrera bientôt en milliers de mégawatts !

En résumé, le match livre imprimé  vs. livre numérique sur le terrain de l’écologie ne saurait se solder par une victoire nette d’un camp ou de l’autre à ce stade. Si les éditeurs ont d’excellentes raisons de jouer la carte du numérique, l’environnement n’en fait pas partie.